Une femme II
Puisque vous avez décidé d'embrasser la destinée peu commune de cette femme, vous vous abstenez de toute espèce de sécurité que peut procurer l'indifférence, et vous optez pour une mansarde aux persiennes coulissantes, capables de filtrer la lumière, ainsi que le pollen qui ensemencera votre bonté d'âme.
Nous, les autres, nous n'avons pas assez d'un arc en plein cintre pour décocher nos flèches ; nous nous tenons prostrés à la croisée des ogives, et nous comptons les coups de cloche venant de l'archaïque beffroi du bourg, que survole un couple de corneilles irascible. Sur la pierre millénaire qui nous sert de siège, un livre est ouvert.
Vous n'ouvrirez qu'à demi la fenêtre ; à perte de vue s'étendront les bocages, à peine détachés des bâtis, et vous reconnaîtrez du vélo le sillage, et la selle, et la fourche. Nul doute que vous le verrez bringuebaler presque convenablement, mais sans personne pour le diriger. Vous penserez peut-être que la femme s'en est allée tutoyer quelque angélique région, mais il n'en sera rien, et cela, vous l'ignorez encore.
Quand elle frappera à votre porte, vous lui présenterez une honnête physionomie, et lui déroulerez un tapis de jeunes pousses. Vous l’accompagnerez jusqu’à la mansarde, qu'elle ne quittera qu'au terme de sa complète régénérescence.
Sans enthousiasme, nous suivons les voltiges capricieuses des corneilles, qui marquent une pause sur le chêne, dont la ramée a étrangement fleuri. Nous nous éternisons à interpréter les signes du ciel, sans comprendre.
Vous serez les témoins d'un épisode des plus singuliers, qui ne s'observe que dans les mystères de la ruralité : le vieux cheval arrêtera sa flânerie juste sous la fenêtre de la mansarde, et d'une culbute exercée, la femme aura déjà pris place sur son dos. Puis, ayant entraîné par trois fois sa monture à faire le tour du cottage, vous l'entendrez dire après chaque tour : "Vous m'avez scrutée, gens du bourg, vous m'avez inhalée, vous m'avez accueillie, vous m'avez nourrie ! Aussi garderai-je de vous un souvenir trempé de joie ! »
Nous ne verrons pas la cavalière emprunter les raidillons tortueux des collines, nous ne verrons pas les rouges panaches de poussière gicler des sabots du cheval. Et quand nous reviendrons vers le grand chêne en fleurs, nous entendrons vrombir un antique moteur.
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