Une femme III


   Il y a ceux qui prétendront avoir vu le vieil engin agricole se mettre en branle tout seul avant d'emprunter la piste parcourue plus avant par la mystérieuse cavalière, il y a ceux qui se contenteront de rentrer chez eux, sans autre préoccupation que la prévoyance d’une garniture avantageuse pour le souper, et il y a nous, les autres, qui préférons, à tort ou à raison, nous délecter du pouvoir cathartique du glissement de l'escargot sur la feuille de chicorée. 

   

   Vous serez nombreux à espérer secrètement le retour de la femme. En attendant, certains se regarderont plus qu'à l'accoutumée dans leur miroir. Vous ne trouverez personne pour se vanter d'avoir retenu la course de la machine, ni personne pour oser cueillir les fleurs du chêne. 

 

   Vous défendrez aux enfants de s'éloigner du village, mais vous ne serez pas les derniers à équiper vos pieds de chaussures parées pour une longue marche. Vous serez plus attentifs aux itinéraires des corneilles. Des arbres vous en interrogerez le feuillage, l'écorce, jusqu'à la sève dont on occulte si souvent la coulée. Vous agripperez une épaisse branche, et à défaut d'un grand écart, vous pratiquerez sans grâce un cochon pendu qui ne dupera pas les esprits éclairés. Vous retrouverez le goût des romans d'aventures.

 

   Ce ne sont pas les aléas du climat qui précipiteront la récolte du blé. Sans doute faudra-t-il des bras solides, et dénués de toute poésie, pour asphyxier la prodigieuse foison de fleurs et de branchages qui perce soudainement toiture et murs des hôtes de la femme, ainsi que de tous ceux qui lui ont manifesté de l'intérêt. 


   Nous serons accaparés à promener de jeunes chiens crépus, peu enclins à raisonner, et mus par la seule appétence de la ration à venir. Nous fixerons les angles torves que forme le pavage hasardeux des rues du centre. Du voisinage nous n'obtiendrons qu'une salutation convenue, suffisante pour amortir toute velléité de réponse. Dans nos têtes retentiront encore les croassements des corneilles aux cruelles fréquences, aussitôt que s'immiscera, immanquablement, la paresse d'en saisir la portée prophétique. 



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