Une femme VI
Il est un fait récent dont personne, au village, n’a eu connaissance, pas même le narrateur qui vous défère à ces lignes, et il n’est pas raisonnable d’en taire davantage le propos. Alors que les volets avaient commencé à se fermer, que les gloussements des coqs présentaient les premiers symptômes de l’épuisement, et que même le mâtin du maréchal ferrant avait cessé d’aboyer, le vieil engin, que personne n'avait jamais revu, reprenait, seul, sans bruit, sa place d'antan.
Ce n’est qu’au coucher du soleil que la femme a rejoint son cheval, ce dernier l’ayant attendu longtemps sans manifester le moindre signe d’impatience. De vos étroites fenêtres, que plaisamment vous appelez meurtrières, vous observez la rugosité du mur voisin, le passage hésitant des derniers badauds que la curiosité continue d'aiguillonner, et la lune gibbeuse dont le faible éclairage suffira un tantinet à vous dérober à la rêverie.
Nous nous engageons dans la pénombre d'une allée, et nous nous étonnons de n'y trouver personne, pas une âme, pas même un ange. Nous résistons à la tentation de passer outre, nous marquons une pause entre deux jardinières géantes animées d'une étrange vie souterraine. Nous recherchons une oreille attentive, une sensibilité capable de tolérer la neutralité de nos apparences. Il est temps de reprendre notre lecture, qu'un éloignement prolongé conduirait à en frelater la candeur. C'est là que nous retrouvons la femme, occupée à semer des graines de joie tout autour des maisons, plus précisément au bas de chaque fenêtre, chaque porte. Nous pensons à vous, qui commencez à vous lasser d'attendre.
La pensée que tout n'ait été que le produit d'un simple rêve vous a effleurés. Mais de l'engin agricole, vous en avez palpé le moteur encore chaud. Vous vous persuadez du bonheur que vous aurez à revoir cette inconnue, qui en l'espace de quelques heures, aura su bouleverser vos intimités. Lorsque vous éteindrez les lumières pour vous offrir au sommeil de la nuit, vous laisserez un volet ouvert.
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