Une femme V
Nous risquons un œil à l'arrière de la ruelle que nous empruntons, comme pour nous assurer que rien dans cette histoire n'est sérieux. Nous avons pris soin de déposer le livre dans l’un des porte-bagages, et nous avançons sans excès d'assurance. Nous tâchons d'oublier notre lecture. Nous accusons réception d'une bouffée d'air frais, aux bouquets d'enfance, tandis que des limaçons, imperturbables, s'agrippent au treillage de notre solitude.
Vous ne faites pas partie de ceux qui se sont contentés de parcourir du regard le trajet de l'inconnue, depuis le chêne jusqu'à sa maison d'accueil, et depuis le cottage jusqu'aux premières sentes d'où elle devait disparaître aux yeux de tous. Vous avez participé aux recherches du vélo, du véhicule agricole, et même du cheval. En dépit de toute logique, vous vous êtes forgé un espoir à toute épreuve, et vous avez gardé comme des reliques les nouveaux branchages apparus comme par magie lors du départ de celle dont la renommée naissante suscite déjà les plus folles rumeurs.
Quand vous rentrerez au village, vous ignorerez tout de la félicité retrouvée de notre cavalière, allongée sans pudeur sur un tapis de fougères aux couleurs de brume, abandonnée à la volupté d'auspices inattendus. Nous apercevons les nuées de curieux, venus des quatre coins du pays, sans toutefois y prêter garde. Nous conservons un petit escargot dans nos mains, dont nous caressons la coquille avec le bout de l'index. Nous sourions au retour de la lumière, venue inonder le vallon. Nous posons les bicyclettes contre la margelle d'un puits, non loin du lavoir, à l'endroit même où, pour la première fois, avant même de la revoir sur la branche du chêne, vous avez remarqué la singulière allure de la femme sur sa monture. Nous oublions le livre dans le porte-bagages.
Vous passerez à côté du livre, sans vous douter un seul instant que la femme s'y est glissée furtivement. Vous l'attendrez encore longtemps. Bientôt vous nous verrez reprendre nos bicyclettes, avec l'aisance contenue des gens qui sans le chercher sont devenus maîtres dans l'art de l'affectation. Néanmoins vous finirez par fixer le livre, comme si de ses pages pouvait surgir quelque explication aux nombreux mystères qui alimentent votre volonté d'en connaître davantage.
Nous scrutons à nouveau le ciel, dont la clémence a cessé d'être un gage de sécurité.
Au dernier tintement de cloche, qu'un vent répercute à travers chaque maisonnée, la femme s'extirpe de l'ouvrage, le visage tout entier offert à l'incertitude du jour. Nous regardons en direction du clocher. Ce n'est pas là que se tiendra son cheval, lequel n'aura cure d'une notoriété que d'aucuns s'attachent déjà à lui fabriquer.
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