Les nuits thoramiennes
Nous étions plusieurs occurrences de moi-même à déclamer des vers autour du feu de cheminée tandis que deux renards insensibles venaient ravager le poulailler du voisin.
Les mots de Laforgue, de Keats, de Ponge et de Nelligan avaient nos préférences car ils se jouaient des braises avec l'aisance d'un fakir et donnaient même à l'âtre des allures d'autel de sacrifice. Ils circulaient sans encombre entre les bûches, ici s'entretenant avec un papillon de nuit, là soulignant l'esthétisme pur des flammes qui lentement consumaient nos précieuses mélancolies. Ceux de Victor Hugo n'étaient jamais loin ; choisis pour compléter et universaliser nos sentiments de l'instant, ils concluaient souvent l'exercice.
Ainsi en ces nuits thoramiennes, soutenus par le chant monocorde des grillons qui servait de bourdon, les sons qui parcouraient notre espace s'accompagnaient des lumières qui en révélaient le pouvoir autant que la vérité, et toutes les gammes, diatoniques comme chromatiques, avaient leur droit de cité.
Nous aurions voulu, plus d'une fois, convoquer quelque danseur émérite pour exécuter les pas des innombrables chorégraphies qui prenaient corps dans nos têtes à mesure que folâtrait la musique des mots.
Comme nous n'en connaissions pas, c'était à nous que revenait de coordonner nos propres déhanchements, nos propres ronds de jambes, disgracieux et candides, que nous ajustions à la mélodie apaisante de nos rires.
Juin 2024
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