TRANSFUGE
Il a tracé des angles aux quatre coins du ciel.
Il a trouvé un peu d'herbe molle et précipitamment s'est débarrassé de sa mort.
Il s'est offert une tranche de pluie, acculé par une averse irrésistible.
En pliant par trois fois son visage, il a garanti pour longtemps sa monacale existence, empreinte insolite des âges.
Il en a écrasé une goutte sous son doigt.
Il a rebroussé chemin aux alentours d'un trapèze invisible, en adéquation avec la raideur de chacun de ses égarements.
Il a refusé les successions d’alunissages.
Pendant si longtemps il s'est appliqué à défricher des parcelles de mémoire, dans l'infini champ des Victoires.
Il s'est complu dans le modèle, luttant à rebours pour l'Intérêt général.
Il s'est trouvé drôle, drôle de s'interdire de l'être.
Ce que les terres brunes ont ravi comme reflet perpétuel, il l'a entortillé comme torchon qu'on essore à la main.
Aux cratères sans nombre il a clos la porte, forçant la rectitude des panaches blancs.
Sans craindre qu'un aquilon ne le disperse, il continue d'abonder dans sa quête de l'Autre.
Alourdi par une absence d'efforts, il exprime d'improbables théorèmes.
Il se dit Premier et Inverse, indivisible.
Mais parce qu'il exige un quotient de lui-même, il se tord le ventre, en tentant de ramener à ses yeux leurs orbites.
Gravement, il affronte les frénésies du Système, avec pour connivence une Inconnue, et pour hérésie une Égalité.
Ce que les éléments lui ont intimé d'entreprendre, c'est une forme de rêve, c'est un labeur à l'horizon indéfini.
Ce sont seulement quelques mystères qui s'effeuillent, au moment où les pélicans s'envolent en un seul, laissant les berges irrésolues.
Mais dès lors que sa source est une Périodicité, dès lors que ses racines sont élevées à des carrés sauvages, il se fige.
Il a porté la main sur son front; il a gardé le Verbe.
Il s'est amassé une gerbe frigide d'étoiles, il a cru à la Plénitude.
Ses pas ont désigné les vallées profondes, éclosions noires de glace.
Trajet cylindrique, cristallin, ses pas ont propulsé la liqueur des ondes, tandis que luttaient ses organes, à l'orée d'une Lumière impénétrable.
Il a regardé comme essentiel l'opportunité d'une éclipse, et s'est aventuré parmi des remugles de couleur.
Avec véhémence il a froissé les encoignures, interprétées obtuses et droites.
En marge d'une friche longiligne, il zigzague sur terrain gelé.
C'est parce qu'il se figure des histoires moites, empêtrées d'opprobre, qu'il se garde de danser.
On pourrait penser qu'il s'échappe.
S'il n'avait eu cette énergie en lui, cette idée fixe qui le force à emprunter des chemins de traverse, il ne serait jamais parvenu à la limite des flux.
Ses souvenirs sont Sable, son avenir Bouclier de jaspe.
Il a élargi les faisceaux de pluie, maintenu l'équilibre entre Chaos et Lumière.
Il s'est noyé dans des réponses sans questions.
S'étant considéré unique et infragmentable, il s'est fait chantre de l'Insaisissable, tout en pestant contre son incapacité à déployer ses dons.
Il a opté pour cette impalpable protection dont les parois glissantes ne pouvaient prévenir aucune chute.
Ayant disserté sur la Vacuité jusqu'à épuisement, il n'en a conservé que les alinéas.
Quand il s'est pointé devant le Recommencement, ses pieds étaient déjà en suspension.
Il est entré gratuitement dans un Monde sans efforts, face auquel il accrochait une Conscience pure, que balançait l'impétueux vent de la Raison.
Il a jugé irrecevable une telle prise de risque.
Il s'est montré solide, parce que galvanisé par une Souffrance, à laquelle il prêtait quelque divine vertu.
Il s'est projeté Autre, il a congédié son ombre afin de la porter à son jugement.
Il est entré gratuitement dans un Monde sans efforts, face auquel il accrochait une Conscience pure, que balançait l'impétueux vent de la Raison.
Il s'est montré triple, empesé par des tentatives à portée hexagonale.
Et s'en remettant aux confuses dynamiques des hommes de bonne volonté, il aura forcé l'Évidence, reconnue seule définitivement complexe, insaisissable.
Enfant, il cueillait des pâquerettes dont il ôtait les pétales pour ne garder que le cœur.
Parce qu'il a repoussé les arêtes, parce qu'il a sillonné le Vide, en équilibre sur une Inconsistance, il s'est considéré incapable, ayant épuisé ses sens à échafauder ses propres barrières.
Il a dormi longtemps, parmi les bruyères, les jasmins.
Il est demeuré sourd aux échos de sa douleur.
Sans doute a-t-il cherché à fuir.
Prisonnier d'une lunaison interminable, il a trouvé amère la Source.
Naïf, il a cru fournir du ciment aux Bâtisseurs.
Ayant vainement tenté d'explorer ses deux hémisphères, il s'est peu à peu érigé une antisphère dans laquelle il suscite des banalités décadentes.
Et puis les feuilles sont tombées, il n'en a ramassé aucune.
Il a observé l'invraisemblable défilé des nains volants, chargés de nuées tenaces, irisées.
Quand il a commencé à ausculter son propre Parnasse, il s'est penché vers le clapotis englué qu’engendre la foulure de l'effort.
Reste! Reste! Et dresse-toi ! lui disait son chemin, parce qu'après ton passage, qui nettoiera l'horizon ?
Il a brisé ce qui lui paraissait le contenu d'un Système, empoussiéré comme jamais, certain de sa disparition dans les limbes de la rêverie.
Mais il s'est réfugié sous vide, nu et à découvert, établi dans une rocambolesque litanie du Courage.
Il a ouvert la porte à l'exhibition de son âme. Invisible, il s'est glissé dans son entrebâillement.
Il a interrompu sa quête du Sens pour se laisser distraire par quelques œillades poétiques.
Maintenant, il marche à cadence irrégulière, ne sachant plus ou s'asseoir, en se perdant dans le dédale du tapis volant qu'il a tissé au fil de ses rêveries.
Il s'est adossé au tronc d'un arbre sec, dont l'ombre apaisante mais disparate ne couvre qu'imparfaitement ses relents de solitude.
Il a suivi la lente procession des cloportes, qui au nombre de cent allaient s'égarer sous les feuilles, qui au nombre de mille s'immisçaient dans les interstices des roches.
C'était sans doute le moment d'étendre ses connaissances, de sculpter en sa mémoire des icônes de Triomphe, de Déjà-vu, et de se dépêtrer du putride cloaque de sa Singularité.
Mais garde-toi d'esquiver, homme ordinaire, la Normalité qui te hante, car c'est à force d'y puiser que gicleront les sources du Génie.
Parce qu'il se découvrit poète, il a cru rassurant de s'aventurer dans la barque de la Nonchalance.
Or il a surfé sur des vagues gigantesques, qui s'écrasaient avant même qu'il n’en atteignît le milieu.
Il ne s'est inquiété de rien, jusqu'à ce que l'une d'elle l'entraînât vers le fond.
Il y resta longtemps.
Vous l'avez trouvé amorphe; reproduisant à l'envi la vanité de chacun de ses actes.
On l'a vu sourire, on l'a vu pleurer, on l'a vu grimaçant devant un désolant chassé-croisé d'émotions transparentes, d'espoirs différés.
Vous l'avez stoppé dans sa volonté de se populariser.
Et pourtant, contre toute attente, il a établi lui-même les limites de son anonymat.
Il épluche une clémentine.
Malgré la légèreté de ses rêves, ses souvenirs préfigurent le lymphatisme de chacun de ses gestes.
Son appétence pour la marche, pour la roche, ne laisse pas de le renvoyer à la nécessité de sa peine.
Voyez son étrange humilité: au céleste assouvissement du moindre de ses désirs, il privilégie toujours une approche chtonienne de la volonté de poursuivre. Dans un train, il choisira le dernier wagon pour remonter pendant la marche, s'il le peut, jusqu'au premier.
Folie ou souffrance? Observez son mutisme, examinez sans vice l'inconséquence qu'il peut ajouter à son énergie, et sans doute aurez-vous la satisfaction d'y trouver quelque élément de réponse.
Il serre les peaux dans la paume de sa main.
Il a plaqué le nez contre la vitrine de ses envies, et a cru remonter l’insolent cours de l’oubli, froide rivière anonyme, jusqu’à ce qu’entre elles se heurtent ses heures indues, réservoir de l’ennui extensible, socle de ses nuits sans couleur.
Il a calculé sans retenue les secondes perdues, au sillage tortueux, mais régulier.
Crispé comme une outre hors d’usage, il a esquivé les griffes de l’ours, croque-mitaine puissant, muet, gourd, à l’extase absente, impropre au vol.
Son passage à gué ne s’est pas fait sans mal ; pénétré des fortes giclures d’un lointain Styx à peine tiède, glissant à chaque enjambée, mais attiré par des berges sans apparat, il a fini par atteindre l’autre rive, au sourire éternel, aux joues tendres.
Chantez-lui des aubades, couvrez-le de pétales de jonquilles, il lèvera les bras au ciel, son cœur implosera sans doute ; encore fera-il mine de le prendre pour une avanie.
Calculateur ? – Peut-être, dans l’aveuglement d’un résultat à son désavantage. Il est passé maître dans l’art de l’autodestruction, paradoxe d’une immunité quasi instantanée.
Ayant érigé son agrume en Apogée pathétique, il l’engloutit du regard avant de le porter à sa bouche.
Laissez-le croquer dans la face cachée de la lune, laissez-le se délecter du suc des petits plaisirs compensatoires.
Trente-six est le nombre de perruches à collier qu’il a comptées sur un seul arbre, entre chien et loup.
Au bruit de froissement musclé que produit leur envol simultané, il a tourné la tête, libérant une moitié de lui-même, accaparée par rien d’autre qu’une indéfinissable perspective d’évasion.
Tyrannique humeur ! Se désolant de l’entretenir comme la nébuleuse récurrence d’un fruit défendu, il a hurlé sa disgrâce, aveu d’une conscience aiguisée, impériale, mais assez cynique pour l’inciter à entamer, rivé au sol, une inepte démonstration de liberté.
C’est ainsi qu’on l’a vu agiter ses bras en l’air, dans un ample mouvement ondulatoire, piteux fantoche éperdu, sans gloire, insensible au sourire bienveillant d’une aube nouvelle.
2013 - 2020
L'introduction m'a aidé à appréhender ces proses poétiques à la narration bien travaillée, aux images très personnelles, entre vagues de fond, nains volants, mathématiques souterraines ... L'ensemble a géométrie variable. Une confidence mystérieuse et intéressante !
RépondreSupprimerMerci beaucoup ! Tout n'est pas encore publié dans cette prose poétique, mais votre analyse est très intéressante et me conforte dans mon intention première. Bien à vous, Olivier.
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