Seconde zone

Toute la ville 

Passe derrière moi

Comme un semi-remorque dans le rétroviseur.

Chargée des vides boiteux du jour et de la nuit elle roule tangue et crache et cale

Pas qu'à moitié. 

Je vais, je vais, ni aveugle, ni sourd,

Sans heurts, sans revanche. 

Terminé l'inventaire 

Des dogmes tièdes 

Et pigmentés.

Dénué de malice je remonte les turbines, 

Un garde-corps entre chaque main,

Bientôt logé à la prunelle du matin.

J'entends lentement se crever le pneu écaillé du camion, 

Le pouls glabre d'une cité aux mœurs anciennes, 

Nichée à la sympathie des uns, au mépris des autres.

Alors on écarte les jambes, on choisit le démembrement.

On casse, on crisse, on clinque.

On laisse s'écouler les gouttières d'apparat, on broie la ferraille inutile.

Resserré le harnais des véhicules de fret, 

Bouchées les artères principales.

(J'ai croisé des blocs de mortier brut sertis dans l'argenterie du ciel).

Je m'étonne de voir circuler des pistils ferreux, frappés d'infertilité, et parés à toutes les foudres, à tous les bouturages. 

Là-bas, on collectionne les bouées d'amarrage, projetées à la sauvette au ressac des peines.

De cratères en cratères on retrouve endormis les quotients des soleils de traîne. 

Et la troublante anarchie des feux de Saint-Elme, au-dessus de l'échangeur des parcours avortés. 

(Aux traits oxydants du passé j'oppose une carapace de cristal). 

Aux Assises se pressent les gargouilles, témoins de granit pour un procès qui n'aura jamais lieu.

Dans chaque casemate, un œil éteint à vingt-quatre carats, une arme désamorcée. 

Les premiers êtres que l'on croise sont de cuivre et de zinc, peu sanguins, peu émus, catapultés d'un plasma à l'autre.

De loin en loin on a sorti les jardinières, remplies du rebut des autres, germes ignorés des humanités de fortune. 

Éperdument je tente d'en retirer le suc qui perle au poudroiement de midi, dans une coupelle formée des os des premiers oubliés.

(Impossible d'éviter le bitume aux lèvres gercées).

Et j'attrape au vol un bonheur de seconde zone, éjecté d'un carrousel endiablé, qu'excite une armée de spadassins masqués.

Je n'entends plus de musique.

Je n'entends plus le camion.

Je n'entends plus le martèlement de l'eau de pluie sur les tôles.

Je perçois le prurit des origines. 

Je vois mon pas échapper à la cadence du globe.

 

                                                                     

 Mars 2021




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